Près de 1 400 000 soldats français trouvent la mort lors de la Grande Guerre. Rapidement, la nécessité de se souvenir de ces hommes se fait sentir au sein de la population. Exutoire au traumatisme que représente ce conflit, le monument aux morts oscille entre hommage national et local où le devoir de mémoire s’empare de l’ensemble des communes françaises. Le deuil se structure dans l’espace urbain autour de ce monument, terme essentiel illustrant la sacralité de ce nouveau type de mobilier. Il se multiplie dans les années 1920, en partie grâce au co-financement de l’Etat et des souscriptions publiques.
Le choix d’un monument pour la paix
Dès le 16 décembre 1917, le conseil municipal décide de l’érection d’un monument aux morts dès que la guerre sera terminée. La reconstruction étant une priorité, il faudra attendre 1921 pour que ce projet débute. L’emplacement du monument fait l’objet d’un premier débat. Il faut qu’il soit visible de tous mais également que le lieu choisi soit propice au recueillement. La ville concède un espace près de l’entrée du parc municipal. A proximité de l’Oise, c’est un endroit peu occupé depuis la fermeture de la faïencerie de Creil en 1895.
La même année, le Comité d’érection du monument aux morts de la ville de Creil est créé pour porter le projet auprès de la population creilloise, rassembler les fonds de la souscription publique de l’ordre de 75 000 francs et organiser le concours national destiné à sélectionner le sculpteur du monument.
Charles Fassier, architecte parisien, est désigné pour coordonner le projet. Suite au lancement d’un concours national relayé dans la presse, Georges Verez, sculpteur, est choisi parmi de nombreux autres projets grâce à sa proposition résolument pacifiste. Il travaille également avec Monsieur Cognard, chargé des fondations, et Monsieur Thibault, marbrier.
Georges Verez propose une figure féminine qui n’est ni une veuve, ni une personnification de la Victoire : elle est une allégorie de la Paix. Personnifiée sous les traits d’une femme drapée à l’Antique, elle tient dans sa main gauche des feuilles d’olivier, symbole de paix depuis l’Antiquité gréco-romaine. Il est l’attribut d’Athéna, déesse de la sagesse mais aussi de la stratégie guerrière. Il s’agit du présent qu’elle avait offert aux habitants d’Athènes, comme symbole de sérénité et de paix. Ces feuilles d’olivier surplombent une gerbe de blé, symbole de la jeunesse tombée au combat mais aussi de fécondité. À ses pieds, un marteau et une enclume peuvent représenter la reconstruction, pas seulement de la ville, mais surtout de la paix. La sculpture est en pierre d’Euville (Meuse).
Détails du monument pour la paix de la ville de Creil
En mai 1924, le plan du monument, réalisé par l’architecte Charles Fassier, est validé ainsi que son inscription frontale. Celle-ci, LA PAIX SE REVELANT A L’HUMANITE / HOMMAGE DE LA VILLE DE CREIL A SES ENFANTS MORTS POUR LA FRANCE, est une proposition du sculpteur Georges Verez. Une première proposition suggérait le terme « postérité » mais celui d’ « humanité » a été préféré. Approuvée par les différents protagonistes du projet, elle est défendue par le maire de Creil depuis 1919, Jules Uhry, qui souligne dans un courrier adressé au sous-préfet de l’Oise que « la meilleure façon de les honorer [les soldats décédés] est, de rappeler qu’ils sont morts pour crier la paix dans le monde ».
Le monument porte la mention « Morts pour la France ». Cette appellation apparaît dans la loi du 2 juillet 1915. Attribuée aux soldats morts pendant la guerre ou des conséquences de celle-ci, elle justifie leur inscription sur les monuments aux morts. Elle prévoit également un « droit de pèlerinage » pour la famille du décédé et permet aux enfants ayant perdus un parent de devenir pupille de la Nation. Les noms des morts occupent les autres faces du monument.
L’inscription et l’iconographie placent ce monument aux morts dans le courant des monuments dits pacifistes. En effet, le spectre iconographique des monuments aux morts est assez restreint. Le choix le plus fréquent est la plaque commémorative, pour des raisons budgétaires, ou la figuration de poilus et de victoires ailées.
La conception et la construction du monument, puis l’aménagement de ses abords, se sont poursuivis de 1923 à 1926. L’inauguration par le maire de Creil, Jules Uhry, a été repoussée à plusieurs reprises. Les archives municipales de Creil conservent un recueil d’échanges par voie postale entre Charles Fassier, Georges Verez et le marbrier, Monsieur Thibault, ce dernier repousse sans cesse son délai d’intervention durant deux années. La construction du monument est alors fortement ralentie.
L’inauguration du monument
L’inauguration est fixée au dimanche 17 octobre 1926 à 14h30. La société Force et Lumière Electriques installe 6 mâts de 12 mètres, 12 écussons et 60 drapeaux. Une tribune a également été commandée. La population, conviée par voie d’affichage, est invitée à montrer sa « volonté de mettre fin au carnage ; de réaliser la Paix entre les hommes ».
Lors de la cérémonie, après les discours, la cantatrice Madeleine Mathieu et la chorale de Creil chantent la Marseillaise. L’Harmonie Municipale, qui a joué la Marche funèbre de Chopin, et l’Amicale symphonique de Creil sont également présents. L’école des filles de Creil organise un jeté de fleurs sous la direction de la directrice Mademoiselle Humbert.
Affiche invitant la population à l’inauguration du monument aux morts
Malgré les forces de l’ordre – policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers – mobilisés, 30 communistes parviennent à pénétrer près des tribunes. Mécontents de n’avoir pas eu un droit de parole lors de l’inauguration, ils entament l’Internationale lors du défilé des drapeaux. Sur la place Carnot, 200 manifestants se rassemblent. Un malentendu conduit à une bagarre entre ces derniers et les gendarmes présents. Quatre personnes arrêtées seront rapidement relâchées à la demande de Jules Uhry.
Bien que nommé « monument aux morts » dans les documents officiels des années 1920, sa terminologie se modifie au fur et à mesure de son appropriation par les Creillois. D’un monument aux morts, il devient un monument pour la Paix en référence à son inscription frontale « La Paix se révélant à l’Humanité ». Monument en voie de patrimonialisation, il invite aujourd’hui toute personne le regardant à se tourner vers le passé pour mieux envisager la paix future.